La fabrication de

mon premier couteau pliant


Retour à la page d'accueil


    Je suis un fan de couteaux fixes tout simplement parce que ce sont les plus solides. Dans la vie de bureau, de métrosexuel, de prédateur urbain ou de bouc "toujours préparé" façon Chaperon Rouge, il y a des fixes suffisamment petits pour passer plus inaperçus que le Bowie de Crocodile Dundee tout en étant bougrement efficaces.

    De toutes mes créations celui qui me convient le plus actuellement est le "Borel II". Malgré tout, le port est suboptimal car je n’ai pas trouvé de solution idéale. Ça finit toujours par gêner debout, assis, en voiture, au cou, au dos, à l’horizontale ou alors on le voit trop bien et les remarques bizarres fusent insidieusement. Bref avec les beaux jours et les t-shirts (pas de pull ou de chemise pour couvrir la ceinture), je me suis dis qu’il me fallait un pliant complètement caché dans un petit étui en cuir. Des pliants j’en ai plein mais depuis que je me fais des couteaux, je ne me vois plus porter au quotidien des couteaux autres que mes créations. Si quelqu’un doit bien croire en son produit, c’est au moins le créateur.

    Bref il faut que je me fasse un pliant. Quoi ? Ben un "Borel II" bien sûr puisque c’est le design qui me convient. Mais pour le système de sécurité/verrouillage de lame comment faire sans machine de précision quand on aime comme moi les produits bien léchés? Que ce soit friction avec ressort, bague rotative, pompe arrière, platine bloquante, on ne peut pas vraiment et je n’ai plus le temps, ni la patience, ni l’envie de me taper des heures de lime.

    Alors je me suis décidé pour ce projet à faire la variante la plus simple et la moins sûre. Un pliant à friction comme ils semblent exister depuis l’antiquité. Voici les autres points intéressants que je me suis proposé d’explorer avec ce projet, mon premier pliant.
- Modèle dits à "deux clous" (axe et butée), avec lentille ou palette de manipulation (un "piémontais") pouvant également servir d’outil d’impact.
- acier XC75 de 3 mm, plaquettes et entretoise en bois issus de planchettes du commerce à la bonne épaisseur.
- Divers recuits de normalisation pour affiner au maximum le grain de l’acier (idéalement ASTM 14 ou 15)
- Tenter une trempe sélective et à l’eau (à la façon japonaise) pour éviter l’huile qui pue et qui fume, obtenir un refroidissement ultra rapide, complétée par une trempe cryogénique locale à la bombe de spray réfrigérant, tout cela à partir de travaux d’essais effectués sur du simple acier XC75 (dont je pense de plus en plus que le potentiel est sousestimé tout simplement parce qu’on n’a pas poussé les process au bout dans les modèles du commerce)
- Renforts par construction composite alu, acier, colle à bois haut de gamme, bois pas assez denses qui seront stabilisés par immersion sous dépression.
- Révélation au perchlorure de fer, état de surface très lisse, épaisseur derrière le tranchant très faible, angle du fil très aigu pour obtenir l’optimum en performances de coupe.
- Pour finir fabrication d’un étui en cuir avec retenue par friction pour port vertical à la ceinture.

    Ce que vous verrez ici est un mélange agrémenté de mes propres solutions de ce que j’ai pu lire dans des livres de forge, de coutellerie ou voir sur le Net sous les sites de Gérard Heutte (Coustil), Kromagnon l’évolution (forge sauvage),Tim Troyer sur Youtube (chaîne Sugarcreekforge) et Ian Atkinson également sur Youtube (travail du cuir sous Leodis leather).

    Voici les divers matériaux (je n’aborde pas les outils necessaires)
- L’acier plat de section 30 x 3 [mm] vient de chez Eurotechni.
- Les planchettes de bois à l’épaisseur finale (moins de travail, faces bien parallèles, pratiques pour le perçage) et la tige d’acier doux de 3 mm proviennent d’un site de produits de maquettes de bateaux en bois.
- Rivets de 2 mm d’aluminium issus d’une baguette de soudure TIG.
- Tube aluminium de 6 mm (paroi 1 mm) en grande surface de bricolage.
- Axe de 3.75 mm d’acier provenant d’un ressort de siège automobile (recuit à la lampe à souder)
- Colle à bois, colle époxy, durcisseur de bois se trouvent sur le Net ou en grandes surfaces générales ou spécialisées.









Après report du contour et perçage de l’axe et des butées, façonnage du contour de la lame.



Montage à blanc sur une plaquette après avoir percé dans celle-ci les trous des "deux clous" (l’axe
et la butée de fin de course). Cela permet de marquer la position et la forme de l’entretoise.



Ensuite ajustage à la lime des congés (percés au départ) pour la fin de course.



Découpe grossière de la seconde plaquette en noyer et de l’entretoise (ici du samba issu d’une planchette
de 3 mm). On peut facilement finir la courbure interne de l’entretoise.



Collage de l’entretoise. Je suis partisan de la colle à bois pour coller du bois sur… Du bois. J’ai pris
une colle à bois de type D3, plus rare en magasin mais plus résistante à l’humidité. Mieux encore la D4,
mais je n’ai trouvé que de la D3 en prise progressive. Et encore progressive c’est 15 minutes de serrage
à 20°C et 6 minutes de temps de manipulation. Ce n’est pas grand-chose pour de la prise progressive.
Hormis cas particulier je choisis toujours des colles à prise progressive lorsque l’application le permet :
ajustement possible et plus grande solidité que la variante dite rapide.



Pas facile de fixer une lame sans manche sur mon support. Il m’a fallu serrer les vis très fort mais ça a
marché. Le demi-angle au sommet de l’émouture est à 2.8°.



D’abord dégrossi sur support au P40 puis P100, j’ai fini le tout à main levée au P220 et P400. Idem
l’autre face.



Dans l’étape suivante, la colle à bois ayant fait son office, je perce les trous pour les rivets de 2 mm
 et le tube passage dragonne dans la plaquette et l’entretoise. Ils servent à la fois à faire joli mais aussi
renforcer la liaison des différents éléments du manche.



Contre collage de la seconde plaquette en noyer.



Contre perçage en se servant des premiers trous comme guides.



A l’aide des deux clous et de mon patron, traçage du contour fini du manche.



Façonnage du contour.



Collage à l’époxy à prise progressive des rivets, tube et butée. J’ai pris soin de rendre rugueuses les
surfaces cachées afin de créer de petites poches de colles.



Ponçage des rivets, tube et butée afin de les ramener à hauteur de palquette. Il faut y aller doucement
avec de nombreuse pause pour ne pas brûler le bois (le ponçage fait chauffer le métal). Puis montage
à blanc.



J'ai normalisé trois fois la lame à 830, 815 puis 800°C. Avec la remontée en température incluse, la
lame a séjourné chaque fois 2'30" dans le four (la première remontée a duré 1', les deux autres 45"
à chaque fois). Refroidissement à l'air en faisant de grands moulinets jusqu'à ce que la lame soit à nouveau
noire avant de repartir au four (sauf à la fin où je l'ai laissé sur l'étau, posée sur le dos).
J'en ai profité pour laisser l'axe dans le four éteint porte fermée afin de lui faire subir un recuit.



J'ai recouvert la lame d'une fine couche de boue argileuse dans le but de limiter le "voile" gazeux isolant
au moment de la trempe. Pas facile aux doigts, je me suis aidé d'un pinceau en me concentrant surtout
sur le premier tiers de la lame. Idéalement la couche fait 0,1 à 0,2 mm d'épaisseur.



La boue sèche, j'ai ensuite mis une couche de colle mastic réfactaire sur les deux tiers supérieure
de la lame. Il s'agit de préserver cette zone d'une trempe trop sévère afin d'avoir une trempe dite
sélective (avec une jolie ligne révélée plus tard): le but c'est d'avoir un dos de lame assez "souple"
pour la résilience et un tranchant dur pour la tenue du fil.
Je voulais employer la recette de Gérard Heutte à savoir un mélange d'argile, de sable et de charbon de bois
mais j'ai retrouvé ma colle mastic réfractaire qui m'avait servi à coller les briques de mon four de
trempe. Autant s'en servir, il m'en reste plein et il ne sert plus à rien. La couche fait environ 3 mm
d'épaisseur après séchage et un coup de râpe à bois. (Excusez la qualité de la photo)



J'ai mis l'ensemble à 790°C pendant 3'30", remontée en température après ouverture de porte incluse
(la remontée a duré 1'35"). Puis trempe dans l'eau de pluie à 22°C. La lame a fait pschitt pendant au
moins 10 bonnes secondes. Au sortir la gangue de réfractaire s'est détachée toute seule. La couche
de boue argileuse semble bien marcher pour diminuer/éviter le voile gazeux. Lame intacte, aucune
fissure. Je l'ai placé ensuite dans mon congélateur vers -20°C.



Pour éliminer encore davantage d'austénite résiduelle, après 25 minutes à -20°C, j'ai encore abaissé
la température de la partie très trempée du tranchant (premier tier de la hauteur de lame) avec un
spray réfigérant à -52°C.



Ensuite séjour 60 minutes à 200°C (avec mon thermomètre étalonné dans le four; on ne peut pas
toujours faire confiance à l'indication du four mais dans mon cas entre 150 et 200°C, mon four
de cuisine Siemens est étonnament précis en mode air pulsé/chaleur tournante)


Nouveau séjour à -20°C pour 20 heures (25 minutes suffisent mais je suis allé dormir).


Dernier séjour de 55 minutes à 200°C.


Et encore un séjour à -20°C pour 24 heures (encore une fois 25 minutes c'est assez mais là je suis parti en weekend).



Voici la lame après tous ces traitements. La photo rend très mal, mais le premier tiers de la lame
a des reflets jaunes, ce qui correspond bien à un revenu aux alentours de 200°C. Comme le reste
n'a pas vraiment pris de couleur j'en déduis que la trempe n'a pas prise avec la même intensité.



Ponçage de la lame jusqu'à P2500 puis aux disques à polir avec de la pâte 6.5 et 2 microns.


Ajustage du dos de la lame avec le dos du manche.



Gravure électro chimique du logo. Ici avec un process un peu amélioré et tellement rapide que les
bords nets du logo ont été ratés.



Pour gagner du temps, au back, chanfreins à 45° sur les bords du manche.



Avec le lapidaire de mon vieux petit combiné j'ai fait des chanfreins à 45° à l'avant également.



Puis on arrondi patiemment à la main tous les chanfreins avec des allers-retours de fines bandes
abrasives de P80, P120 et P180.



Après un nettoyage du bois et montage de la lame, immersion sous dépression
dans du durcisseur de bois. La dépression aide le produit à pénétrer très
profondément dans le bois (noyer et samba que je trouve pas assez dense).
C'est la recette pour obtenir du bois dit stabilisé. J'ai monté la lame afin que
par absorption la zone du pivot ne gonfle pas trop: je me dis que la lame fera
un peu barrage au durcisseur. Pour le noyer, 8 heures ont suffit pour qu'aucune
bulle d'air ne s'échappe plus du bois.



Après retrait, il faut compter au moins 3 heures de séchage, puis on peut passer de la paille de fer
afin de lisser / casser les fibres du bois qui se sont redressées sous l'effet du liquide. Le noyer s'est
sacrément assombri, sa couleur est plus profonde.



Le début des finitions: petit coup de papier de verre très fin (P1000) puis polissages successifs aux
disques de coton avec des pâtes de 40 et 2 microns. Le bois se salit souvent entre les diverses étapes
de polissage. Il faut toujours le nettoyer avant de poursuivre. J'utilise pour cela du décireur pour bois.
L'essence de térébentine doit faire le même effet.



   La meilleure finition du bois s'obtient avec une huile de type CCL. Il faut au moins 6 couches: 3 avec
le vernis tampon seul et 3 avec un mélange de vernis et d'huile de lin. Ce produit a l'avantage de
sécher très vite.



Après avoir raccourci l'axe de façon à ce qu'il dépasse d'environ 1 mm de chaque côté (au dessus
de la rondelle; rondelle M4 modifiée à la main faute de mieux), j'ai longuement et doucement maté
l'axe avec un marteau ayant une panne sphérique: il faut viser le bord et taper à 45° tout autour de l'axe.



Voici un exemple d'étui en cuir collet végétal avec couture à point dit de sellier.


Voilà c'était à peu près une façon de faire.

Mon premier pliant, mais tout ne s'est pas très bien passé. Forcément les premières fois ce n'est jamais parfait.

Mais on apprend énormément. Je vous invite de l'autre côté du décor.



       Comme déjà brièvement mentionné plus haut (et dans mon journal), j'ai eu de grosses difficultés avec la trempe sélective que j'ai tentée. je m'y suis repris à 3 fois avec des températures de plus en plus agressives avec un bilan catastrophique: l'acier n'a jamais vraiment durci et à la dernière trempe, il a fissuré au tranchant et à la pointe.


Fissure du tranchant.



Fissure dans la palette.



Fissures multiples à la pointe.


    Pour apprendre un maximum j'ai décidé de mener le projet au bout.... Pour révéler la ligne de trempe, protéger un peu la lame et lui donner une finition mat, il faut la tremper dans du perchlorure de fer par exemple (on peut tenter le coup avec du vinaigre blanc mais c'est beaucoup plus long).


Le perchlo est un acide et pour ne pas perdre de matière au niveau du pivot, il faut protéger la surface.
Ici du vernis à ongle que j'utilise aussi pour la gravure électrochimique.



Et voilà le résultat. Il faut bien laver la lame pour neutraliser l'acide. De l'eau savonneuse suffit.


    Pour finir, en vrac, après avoir porté ce couteau tous les jours depuis le 30-AVR-2014 (j'écris ces lignes au 28-JUN-2014)
- quelque soit l'endroit de port autour de la ceinture, la palette dépasse de trop et comme elle est très agressive, les risques de trous, dans les vêtements, d'accrochage, de propre blessures sont très élevés. A raccourcir de 66% au moins et arrondir les angles
- bien que stabilisé, le noyer n'est pas assez stable. A peine une semaine après la réalisation, le bois a gonflé et dépasse à présent les rivets et autre tube au point qu'on peut le sentir au doigt et le voir. Prendre un bois plus dense ou utiliser des rivets en bois?
- la finition CCL n'est pas très endurante. Cela semble venir du frottement à l'introduction et à la sortie de l'étui. Alors que les deux plaquettes étaient "voisines" dans la planchette de noyer, celle qui touche l'étui côté corps s'est éclaircie beaucoup plus que l'autre.
- à cause de la trempe sélective, la lame s'est courbé vers le haut (la courbure du dos est devenue moindre; parce que la martensite obtenue au tranchant "gonfle" légèrement par rapport à l'austénite), du coup le tranchant ne suit plus aussi proprement l'intercalaire en samba; cela ne se voit pas mais la pointe a failli dépasser du manche en position fermé
- en fonction de ??? (humidité, température?), le couteau frotte peu ou pas du tout en position fermée. J'a songé à la retenir avec un petit aimant surpuisant qu'on trouve sur le Net. Pas assez puissant hélàs...
- le tranchant n'est pas assez endurant (moins qu'un simple Opinel en XC 90 à 57 HRc) mais grace à sa finesse (0.2 mm derrière le fil) ça reste un outil coupant à peu près digne de ce nom... Il rase super bien juste après un affûtage. L'XC75 est de loin le plus agréable à affûter de mes aciers


Le noyer qui travaille...



Un petit aimant avec une "force de 180 g" de 3 X 3 X 1 [mm], collé en place, après coup.
Pas très efficace, il faut peut-être le mettre parallèle à la lame pour "récupérer" plus de force magnétique.


Je ferai beaucoup mieux la prochaine fois !


Retour à la page d'accueil